Un passage en RDA.
L’Autobahn au revêtement soigné se déroule à grande vitesse sous les roues du cocon douillet que constitue ma Citroên CX, et son aspect est d’autant plus parfait que je m’approche de la ville d’Hof. Il convient, bien entendu de se placer dans le contexte politique de cette époque où la concurrence entre l’Est, sous influence soviétique, et l’Ouest, sous influence américaine, atteint des sommets de paranoïa. Il faut démontrer toute la supériorité du capitalisme en soignant le décor. Hof est la ville frontière entre l’Allemagne de l’Ouest et la RDA. Entre le monde « libre » et le monde « confiné ». Dans les jumelles des gardes est-allemands qui surveillent les mouvements à la frontière, la RFA doit se présenter de manière impeccable.
Le passage de la douane ouest-allemande est une simple formalité ; le douanier nous demande ce que nous allons faire en RDA : »Nous allons travailler à la construction d’une nouvelle usine de fabrication de transmission pour automobiles (Gelenkwellenwerk) ». Et comme à chaque fois que le préposé reçoit cette réponse, il nous déconseille fortement de travailler pour ces tires au flanc d’Allemands de l’Est.
Mais mon entreprise a signé un contrat et il va falloir l’honorer. Je redémarre la voiture et quelques centaines de mètres plus loin le panneau de limitation de vitesse indique 10 km/h : nous approchons de la douane est-allemande. Le contraste est saisissant : la route défoncée se rétrécit à l’approche d’un impressionnant bélier hydraulique dont le vérin doit faire environ cinq cent millimètres de diamètre, placé perpendiculairement à cette même route. En cas de fermeture de la frontière, cet équipement doit être à l’épreuve des tanks. A chaque fois que je passe devant l’engin je prie pour que le système ne se déclenche pas et ne m’embroche moi et la voiture. Des nids de mitrailleuses lourdes placées sur des miradors entourent ce passage.
Plus loin se trouve le cerbère à qui l’on donne les papiers : passeport, carte grise de l’auto, et la Zahlcarte (carte sur laquelle on détaille ce que l’on a à déclarer : effets personnels, nourriture, matériel etc.… et je vous prie de me croire que cela doit être précis). Ces papiers, posés sur une bande transporteuse qui les déplace jusqu’au poste de contrôle, sont ensuite soumis au regard sourcilleux de fonctionnaires. Ceux-ci n’ont rien d’autre à faire que de prouver leur pouvoir aux pékins de l’Ouest qui viennent mendier leur travail dans la toute puissante démocratie communiste est-allemande.
A partir de là il y a un tri de deux grandes catégories de voyageurs : ceux qui vont à Berlin Ouest et qui restent sur cette autoroute et ne sont qu’en transit et ceux qui entrent sur le territoire de la RDA. Les contrôles ne sont pas identiques. Les voyageurs en transit ne subissent qu’une vérification succincte, et resteront strictement sur cette autoroute qui les mènera à Berlin et dont les abords pullulent de policiers et de militaires. Par contre pour les autres, une procédure beaucoup plus lourde est appliquée. Les quidams comme moi qui entrent en RDA se retrouvent dans une zone où ils n’ont plus d’existence, ni à l’Est ni à l’Ouest, sans papiers mais éventuellement à la merci d’une police dont la réputation n’est plus à faire : la Stasi. L’attente est plus ou moins longue en fonction du bon vouloir des camarades.
Après validation des papiers nous passons devant un physionomiste qui nous observe consciencieusement de face et de côté. Une fois convaincu que nous sommes bien ce que nous prétendons être, il nous rend nos papiers qui seront donnés au fonctionnaire suivant, qui lui va organiser l’inspection de la voiture …Tout un poème… Le contrôle commence par la lecture de la Zahlcarte et ensuite fouille du coffre et du compartiment moteur, vérification des dessous du châssis à l’aide d’un petit chariot sur lequel est posé un miroir. Ensuite inspection plus ou moins pointue de l’habitacle. Si pour une raison ou une autre il leur convient de garder la personne, ils auront toujours l’excuse de trouver un élément de description qui manque sur la Zahlkarte. Francophones, nous l’appelons la « sale carte ».
Cette fois-là il ouvre le compartiment à mini cassettes de musique de la voiture et, malheureusement pour moi, tombe sur celle de Nina Hagen, qui dois-je le préciser, est née en RDA et après avoir quitté ce pays y est devenue persona non grata. A voir l’expression de surprise du visage du douanier, je sens que les embrouilles commencent.
Il me donne ordre de descendre de la voiture et de le suivre dans un local assez bien insonorisé, équipé de lecteurs de cassettes en tous genres. Il met celle de Nina Hagen dans l’un d’entre eux et commence la lecture d’icelle. Ce volume de Nina Hagen s’appelle, cela ne s’invente pas : « Angstlos » qui peut se traduire par « Sans Peur » !
La cassette dure environ quarante-cinq minutes. Je ne sais plus combien d’heures je suis là à patienter avec pour seul horizon la tête du fonctionnaire, son casque stéréo posé sur les oreilles : lecture à vitesse normale, à petite vitesse, à grande vitesse, à l’envers, repassage de certains blancs entre les morceaux etc.
Enfin il me dit : »vous avez de la chance, je n’ai rien trouvé qui puisse m’inciter à continuer mes investigations, mais je garde la cassette qui sera détruite. Elle est interdite en RDA. » A bout de patience, j’acquiesce.
Après ces désagréments, je reprends ma route, bordée de chaque côté de fils de fer barbelés, et traverse le No Man’s Land de deux km de large qui longe la frontière, pour rejoindre mon lieu de travail. Le No Man’s Land est une zone dont la fréquentation est strictement interdite : toute personne s’y engageant est immédiatement abattue. (Le nombre exact des victimes qui ont tenté de fuir le régime est-allemand en traversant cette zone est toujours controversé mais se compte par centaines.)
Le plus étonnant c’est que pendant que je subissais les rigueurs de fonctionnaires tatillons, Nina Hagen donnait une interview à des journalistes français en 1983. Dans une vidéo placée sur YouTube que j’ai trouvée par hasard, on voit des images de Berlin, le mur, la porte de Brandebourg, les murs lépreux, mais couverts de tags à l’Ouest, les murs lépreux, gris et tristes à l’Est.
Cette vidéo dure environ une demie heure à cause des morceaux de musique que le producteur a insérés lors du montage.
Extraits de la fin de la vidéo:
Ma musique est drôle et je suis un clown pacifique
Les Ovnis viennent dans mes rêves quand je dors et me disent : Nous voulons te contacter maintenant et je sais qu’un jour un miracle arrivera.
Et cela fut vrai : en 1989 le mur est tombé ; (Berlinerwand).
A cette époque la plupart des gens prenaient Nina Hagen pour une dingue un peu naïve et allumée.
Mais l’était-elle vraiment ?
Pour ma part : Nina, Ich liebe dich.
Tschüss.
PS: Depuis 1989 d’autres murs se sont hélas élevés : La barrière de séparation israélienne (Cisjordanie), Le mur anti-migrants (Hongrie), La frontière USA/Mexique (Etats-Unis) et bien d’autres encore. Evidemment il y a surtout des murs d’incompréhension qui s’élèvent tous les jours. Pour terminer sur une note un peu plus légère, mon mur préféré c’est celui des cons !

Ecolier, Apprenti, Bac-6, Ouvrier, Régleur, Mécano pro, Petit Chef, Grand Chef, Petit Novelliste, Petit Photographe, Petit Bricoleur au grand désespoir de mon entourage…etc. Vous comprendrez que j’ai fait au minimum HEC (Hautes études communales…).
Et je cite entre autres : Créateur et Administrateur de ce site.
Un personnage.On aime,ou on déteste.Moi j’aime .Unique.Reconnaissable entre toutes les artistes.Une voix.De cantatrice.Un look.Un message d’amour et de liberté.Une légèreté (apparente) .Un côté clownesque (mais comme tous les clowns,triste aussi )Ca nous change des discours haineux.
Merci Nina.Et merci Toni pour la vidéo.Vraiment chouette.