Chasseur de taupes

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Chasseur de taupes de Vileno Antoine

 

Il est des fois des rencontres cocasses et truculentes dans la vie ouvrière. Beaucoup de personnages hauts et en couleurs. Parmi ceci j’ai eu la chance d’un connaître un qui sortait vraiment du commun :  Nigilin Reni. Manœuvre de son état dans une unité de production de pièces pour automobiles. Ces grandes entreprises avaient pour obligation d’embaucher un certain pourcentage d’handicapés de toutes sortes et, dans les services de nettoyage et graissage il représentaient la majorité du personnel.
La vie de Nigilin Reni était divisée en quatre volets : sa vie avec sa mère, la fréquentation des bistrots, son travail à l’usine et la chasse à la taupe dont il se targuait d’être le meilleur spécialiste connu de la région. (Cette dernière affirmation ne souffre d’aucune exception ou contradiction, sous peine de se faire un ennemi à vie)

Les jours coulaient lentement sur la Campagne sundgovienne (Sud de l’Alsace) et rien ne semblait pouvoir troubler la quiétude des longues après-midi et soirées que les gens des villages passaient dans les bistrots
à siroter des bières à parler de la météo et de la vitesse de la pousse du houblon, ce dernier élément étant très important, puisque de lui dépendait le contenu futur du bock se trouvant sur le zinc du comptoir. Tout cela étant parfaitement huilé jusqu’au jour où un client du ‘Chez Micala’ remarque qu’il n’y a plus la petite queue sur son béret.-Un béret sans petite queue n’est plus un béret » s’écriât-il .

-Pourvu que tu ais encore la grande queue » lui répondit un autre.
-Tu veux parler de la petite ficelle qui lui tient lieu de tube de vidange ? » renchérit Micala , la patronne du bar.
-Petite ou grande queue, toujours est-il qu’il va falloir que je me rachète un béret.
-et un bilboquet… »pensa Micala.

Sur ces entre faits arrive Nigilin Reni. Il accroche son casque et sa veste au porte manteau à l’entrée du bistrot et s’enquiert de ce qui se passe.

-Mais ?… Sur mon béret aussi il n’y en a plus! C’est ma mère qui me l’a fait remarquer.
-Pas étonnant remarqua un autre client : le béret est noir et toi qui est toujours gris, tu ne risques pas de voir grand-chose dans cette poix sombre.
-Poissombre? Poissombre! Nom mais vous entendez cela ? Ça veut donner des leçons et ça ne sait pas le français ! On dit poisson et non pas poissombre . Sombre poisse soit ta veine, idiot.
-Yooo Yoooo Yo : ta veine à toi, elle est sous perfusion de gnôle. C’est bien pour ça que l’on dit la veine du poivrot…
-Nom mais tu me me cherche là » dit Nigilin en sortant un opinel crochu de sa poche, « Fais gaffe à ce que ton vermicelle ne fasse pas la même fin que la queue du béret…
-HOLÀ HOLÀ HOLÀ ! ON SE CALME » hurla Micala, maîtresse femme et bien qu’ayant beaucoup de prestance, sa corpulence fait reculer la plupart des soiffards accoudés à son bar….

Il est des jours plus électriques que d’autres, mais dans les eaux calmes d’un petit village une vaguelette provoquée par une queue de béret tombée à l’eau peut prendre des proportions de tempête, surtout si les embruns proviennent d’un nombre conséquent de pintes d’alcool. Cette histoire aurait pu s’arrêter là si une semaine plus tard au même endroit :

-COOTFERKLEMI COOTFERKLEMI NOCH E MOooL , je viens d’acheter un nouveau béret il y a trois jours et il n’y a plus de petite queue !!!!? Que-ce que c’est que c’te bordel de ….
-Hé ! « , le coupa Micala, » ici ce n’est pas un bordel, ici on fait ça à l’œil.

Rires gras de l’assemblée des supporters du vignoble.

-Mais je ne parle pas de cet endroit béni des dieux et surtout de Bacchus, des bécots je te fais si je t’ai touchée ,Micala , vile soit mon âme avinée si j’ai voulu te vexer, mais mon humeur n’est pas à l’humour après la perte de ma deuxième petite queue … »

Rires gras de l’assemblée des supporters de Bacchus.

-He ! Vous me lâchez les raisins vous : c’est déjà assez énervant comme çà.

Aussi à une table, Nigilin Reni assiste à la scène avec une lueur de contentement dans l’œil. Sa bonne humeur n’est pas due à l’humour épais des clients du « Chez Micala », mais plutôt à la mousse qui lui flatte les papilles et à sa récolte de taupes qui a été bonne dans la campagne avoisinante. Grand chasseur de taupes devant l’éternel, il faut dire qu’il ne fait pas seulement cela pour le sport : une invasion de ces rongeurs à transformé la campagne de la commune en véritable gruyère, les dégâts sur les récoltes deviennent importants et la mairie paie un franc cinquante la taupe mise hors d’état de se reproduire. Pour la chasse à la taupe, Nigilin utilise des pièges dont il a le secret, et n’utilise aucune de ces techniques modernes qui emploient des ingrédients chimiques et qui polluent terre et nappe phréatique .Nigilin sans le savoir est un écologiste a l’opinel crochu. Accessoirement un demi de bière coûte un franc cinquante et sans se secouer les neurones les calculs sonts rapides : tant de taupes attrapées est égal à tant de bières éclusées.

Se levant sans trop chalouper, il va au bar et jette les pièces de monnaie pour payer sa mousse :

-Salut !  » Cria-t-il à l’assemblée.

Il récupère son casque, sa veste et sort du bistrot. Après avoir soigneusement sanglé son heaume de motard, il monte sur sa mobylette bleue (à guidon chromé qui contrairement à celle de Karamanlis1 est ici de marque bien déterminée: »Mobylette », c’est notre mob nationale, appelée « M » dans les banlieues « T’as une « M » à défaut d’âme M’dam ? », Ademar Patamob ?) et pédale pour démarrer le moteur. Le bruit caractéristique du petit deux temps se fait entendre. Il donne un coup de rein vers l’avant ce qui fait remonter la béquille centrale et tourne la poignée des gaz mais pas trop. Il veut jouir le plus longtemps possible de cette promenade.Le vent lui caresse plutôt que l’agresse, le museau et cela lui permet de jeter un coup d’œil connaisseur sur les champs et de déterminer s’ils sont envahis de taupes ou non. Dans la sacoche latérale de sa mobylette se trouve un précieux paquet fait de feuilles de journaux : la preuve du nombre de taupes attrapées.
Il arrive à la mairie, gare sur béquille centrale sa mobylette à guidon chromé, met l’antivol à chaîne autour de la roue, enlève son casque, récupère le paquet dans la sacoche et se présente devant la secrétaire de la mairie :

-Bonjour » dit-il timidement à la secrétaire
-Bonjour Monsieur Nigilin, vous désirez ?
-Hem, hem… j’ai apporté les preuves pour les taupes que j’ai attrapées … » dit-il timidement
-Ha ! C’est bien, et il y en a combien ?
-Dix-sept « 
-Autant que ça ?… Dix-sept ?
-Oui… Vous voulez voir pour les compter ? »

Il sort son paquet et l’ouvre : à l’intérieur se trouvent toutes les petites queues de taupes qui commencent à dégager une petite odeur….

-Non non » s’écrie la secrétaire d’un air dégoutté, je vous crois.  » Alors, dix-sept multiplié par un franc et cinquante centimes. Cela fait vingt-cinq francs et cinquante centimes exactement.
-Vous savez, en venant à la mairie j’ai regardé les champs et je crois que nous avons encore beaucoup de travail avant d’être débarrassé des taupes ».

Nigilin prend son argent et salue en la remerciant la secrétaire.

Le lendemain de sur mon lieu de travail, je vérifiais le bon fonctionnement d’une rectifieuse dite centerless de marque Landis (Providence Usa) qui servait à rectifier les bras de croisillons de transmission pour véhicule automobile HY, quand passe Nigilin Reni poussant sa brouette de récupération de copeaux :

-Salut Nigilin »
-Salut Tony, toi ça va ? Moi ça va.
-Tu m’a l’air en forme ce matin Nigilin
-Haaa oui : hier j’ai touché vingt-cinq balles et cinquante centimes à la mairie pour les taupes que j’ai attrapées
-Vingt-cinq francs cinquante ? Cela fait pas mal de taupes ça dis donc
– Dix-sept en tout, mais tu le garde pour toi : je n’en ai pas attrapé dix sept
« …….? »
-Hé ben, j’ai mélangé les queues de taupes avec des queues de bérets pour que cela fasse un plus gros tas et comme la secrétaire de mairie est dégoûtée et ne les compte pas elle n’y voit que du feu, et voilà. Bon j’ai du boulot, allez salut.

Gauloise sans filtre au bec, le cheveu brouillé, la barbe naissante, le bleu de chauffe froissé, Nagala reprend sa brouette et s’éloigne dans l’allée, entouré du bruit infernal des machines de grande production de transmissions.