F401 boite noire…

F401 Boîte de plastique noir posée sur la table. On dit que cette chose est capable de fixer des images. Mouais. Peut-être bien.

J’entends la voix rocailleuse et un peu acidulée de Zia Lina qui engueule ses voisins. Drôle de voix que celle de cette dame. Forte et pleine d’énergie. Énergique certainement : elle est capable à 75 ans de transporter une machine à laver sur sa tête, ce que peu de gens en parfait état musculaire peuvent faire. Elle nous a dit de ne pas répéter aux autres ces exploits physiques pour la bonne raison qu’ ils la prennent pour une « strega », une sorcière et qu’il est inutile d’en rajouter. En fait il est difficile de penser à autre chose en la voyant : elle porte un foulard noir sur la tête, avec un chignon, à la manière des gitanes ( non…pas les cigarettes) et ses bagues sont pleines de doigts et de pierres.

Zia Maria lui demande de cesser de crier, de faire « u commizio » et de l’écouter un peu mieux car si elle n’écoute qu’elle-même, ce sera uniquement un dialogue monologique ( ou l’inverse). Zia Maria est une toute petite dame au visage rieur très active et très forte ( mais pas au point de transporter de machine à laver sur la tête) avec un foulard noir sur la tête à la manière des… je l’ai déjà écrit ça…. Gitanes, mais ses pierres ne sont pas sur ses bagues qui n’ont pas de doigts.

F401 Boîte de plastique noir posée sur la table. On dit que cette chose est capable d’immortaliser un tout petit espace-temps. Mouais. Peut-être bien.

Miaou, miaou… Voilà le chat siamois de la voisine ( du dessus ?) qui arrive. Il est malade. Mais n’a pas perdu son intelligence. Il entre dans la maison et vient miauler autour des jambes d’Andrée et de … « Fruste héllà ( ?) !! » dis-je. Un chat normal élevé dans ces contrées, en entendant cette formule incantatoire aurait dû disparaître pattes au cou, mais lui n’en fait rien. Il a peut être été mis au parfum par la strega et sait certainement réciter la contre-formule pour ne pas disparaître. On est obligé d’en revenir à la bonne vieille méthode dite « du balai » pour s’en débarrasser. Hélas ! Il connaît aussi celle-là et sait très bien qu’on ne le frappera pas. Donc il reste. Finalement, on le pousse dehors et on ferme la porte. Nous voilà débarrassés du chat mais nous voilà aussi enfermés à l’intérieur.

F401 Boîte de plastique noir posée sur la table Clik clak je suis patraque ( ?)

Zio Vincenzo passe affairé « Je vais faire quelques courses » et d’un pas pesant mais assuré, il dévale les marches de la via Monte di Dio qui le mènera sur la place du village. Là il rencontre Ottavio Bottiglione assis à l’ombre  et lui demande mezza voce qui aurait encore quelques réserves de jus de Bacchus. Il faut dire qu’il est arrivé ce matin en vacances, Zio Vincenzo, et que sa préoccupation première est toujours d’avoir une bonne réserve de rince-glotte « fait maison ». Il n’acceptera jamais de boire un tord boyaux acheté car ces industriali  sans vergogne mettent de tout et même du poison dans les produits qu’ils vendent.

Finalement, il revient et avec un air victorieux nous annonce qu’il a trouvé du vin et que ce soir, on mange ensemble.

F401 Boîte de plastique noir posée sur la table. On dit que cette chose est capable d’imiter Lewis Carroll. Mouais.

La tendina para mosca oscille lentement poussée par le souffle de l’air (léger l’air, très léger l’air de Bonefro). On n’entend plus Zia Lina, ni Zia Maria, ni Zio Vincenzo. Silence total. On entendrait voler une mouche. Mais justement on les entend (les mouches). La preuve que le silence est total c’est la présence d’un bruit infime qui est au seuil de l’audition…. Mais ma parole je suis en train de refaire la démonstration de Bell !!!

Il fait frais  à l’intérieur de la pièce et j’apprécie ce calme. Tout d’un coup une petite fille sortie on ne sait d’où s’arrête devant la tendina et regarde à l’intérieur. Elle ne dit rien et m’observe. Elle est sûrement surprise de voir quelqu’un : d’habitude cette porte est fermée. Elle m’hypnotise et j’ai l’impression de me regarder dans un miroir 35 ans en arrière. Pourquoi faut-il que les enfants soient toujours au soleil et les adultes à l’ombre ? Le temps de cette pensée et la petite fille a disparu.

F401 Boîte de plastique noir posée sur la table. On dit que cette chose est capable de photographier des personnes ou des paysages. Mouais.

La voiture, pourtant puissante, peine à  gravir la pente. La route est étroite et les courbes serrées. Dans l’une d’elles, un cyclomotoriste qui ne contrôle plus la vitesse de son engin a failli heurter le capot de la voiture.  La chaleur est écrasante et nous roulons toutes vitres ouvertes. Le parfum de miel des genêts nous enveloppe. 

Nous arrivons à l’entrée du téléphérique. Cela fait un moment qu’il est en panné nous annonce le préposé « mais vous pouvez l’atteindre par la route jusqu’à mi hauteur et ensuite à pied jusqu’au sommet, deux mille lires ». Parking. « Monsieur avez-vous du feu ? » «  Oui. Voilà des bâtons, ils vont vous servir pour monter. »

Nous commençons la marche et croisons quelques pèlerins qui descendent. L’un d’eux ou plutôt l’une d’elle, ma foi ( très) bien faite, glisse du pied sur quelques cailloux et s’étale devant nous. «  Huit mille lires pour arriver au bout Monsieur ». Suant et soufflant comme des mouflons, nous arrivons sur les lèvres du cratère. Danger. Surtout ne pas glisser.Précipice. Un vent frais nous caresse. Le regard englobe ( embrasse ?) la baie de Naples. Existe-t-il un moyen pour reproduire la sensation vécue au sommet du  Vésuve, sans oublier la mouche qui m’énerve depuis une bonne demi-lune ( heure) ?

A la fin de la descente nous rendons les bâtons « ça fait deux mille lires Monsieur ! ».

F401 Nom d’un avion de chasse utilisé pendant la guerre du Golfe. Non, c’est une boîte de plastique noir posée sur la table…

On décroche la tendina para mosca et clic clac on ferme la porte pour sortir. Température agréable. Les lampadaires éclairent de façon artistique les coins et recoins du dédale des rues de Bonefro. Même au cinéma on n’a jamais pu approcher la perfection de ce décor et la magie de l’illumination nocturne. Nous décidons de prendre la direction du cumment (le couvent). Sur la place du cumment, les autochtones sont assis sur de petites chaises paillées et tracent de leur discours l’immémorial roman du village de pierre. Sur  (Entre) les murs épais du couvent résonnent encore les pas des élèves habillés en uniforme, qui ( y) allaient à l’école. Si on écoute bien, on entend les petits cris lointains du passé sous les voûtes. 

Nous arrivons sur la terrasse bordée d’un large garde fou en pierre et le regard embrasse une grande partie des lumières du village. Silencieusement, deux pipistrelles passent.

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